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La naissance du cornet à pistons

Le cornet à pistons est un instrument de musique très récent de la famille des cuivres. Son invention date du XIXe siècle, tout comme la trompette, le bugle, le saxhorn, etc. La Révolution française donne la possibilité aux facteurs d'instruments d'approfondir leurs recherches dans le domaine de la musique. Ils vont principalement utiliser le cornet à pistons pour tester leurs expérimentations. Ces dernières vont permettre de développer cet instrument mais vont aussi impacter fortement tous les instruments de sa famille. Aujourd'hui, les facteurs travaillant sur les cuivres sont encore à la recherche d'améliorations et de perfectionnements.

L'ancêtre du cornet à pistons

Le cornet à pistons est une amélioration du cor postal/de postillon (posthorn en anglais). Aujourd'hui, utilisé dans les armées françaises, il est connu sous le nom de petit cornet. À l'origine, l'utilisation du cor de postillon n'était pas la même que le cornet à pistons. Dans les environs du XIXe siècle, le posthorn était utilisé pour annoncer l'arrivée du courrier. Par la suite, certains compositeurs vont l'inclure dans leurs œuvres. Une des œuvres la plus célèbre est la "Symphonie n°3" de Mahler.

Boîte aux lettres allemande (Postkasten) où on y trouve un posthorn la décorant.

Posthorn boîte aux lettres.JPG

figure 1

Ci-dessous, voici un extrait du solo joué au posthorn en si bémol de la "Symphonie n°3" de Mahler. Cet extrait (fig.2) permet d'apercevoir que le cor postal n'a pas la faculté de jouer toutes les notes chromatiques, mais seulement un certain nombre. Le lien ci-dessous vous permet d'écouter un enregistrement d'un concert en live de l'orchestre symphonique de Bilbao. On y entend Vincenta Olmos, trompettiste, jouant du posthorn à palettes. Cet instrument plus moderne permet de jouer avec une justesse précise  que le posthorn "naturel" n'est pas capable d'atteindre (La production du son).

posthorn mahler 3.JPG

figure 2*

D'autres œuvres comme Le "Caprice pour le départ de notre très chèr frère" du célèbre Bach, n'est pas une œuvre jouée par un cor de postillon mais par un clavecin. La particularité de cette pièce est que le clavecin a l'objectif d'imiter le cor de postillon (fig.3).

figure 3*

Pourquoi le cornet à pistons est-il apparu ?

Avant la moitié du XIXe siècle, les instruments de la famille des cuivres avaient énormément de limites. Ne pouvant jouer que très peu de notes, ils n'avaient que peu d'utilité. Leur fonction n'était généralement que militaire. Pourtant, ils ne sont pas récents. On a pu le prouver avec la découverte de trompettes dans le tombeau de Toutânkhamon datant de l'Antiquité.

Les  salpinx sont des trompettes utilisées pour les guerres en Grèce (fig.4). Des instruments ayant eu la même fonction que le salpinx, il en existe beaucoup. Par exemple, des instruments comme le cornu, le buccin et le lituus ont été utilisés par les guerriers romains, le carnyx par les Celtes, etc. Dans la période baroque, le clarino fera son apparition mais il aura tout de même beaucoup de limites.

Il n’existait que peu de manières pour changer la longueur du tuyau et donc la hauteur du son de ses instruments. Soit à l’aide d’une coulisse comme pour le trombone, soit en bouchant le pavillon comme le cor. 
trompette de guerre.JPG

figure 4

Dessin d'un guerrier jouant de la salpinx. Il y est inscrit "Krieger mit der Salpinx" traduit par "Guerrier avec la salpinx". Ce dessin se trouve dans le volume 14 de l'encyclopédie illustrée de Joseph Meyer. 

C’est en 1760 que vient la merveilleuse idée à Ferdinand Kölbel de modifier la longueur de ces instruments d’une autre manière. C’est ainsi qu'en 1776, il invente le Amor-Schall. C’est un cor chromatique constitué de crochets détachables permettant de changer la longueur de l'instrument. Son invention ne portera pas ses fruits. Par la suite, une multitude d’inventions, plus ou moins innovantes, feront leur apparition. Cela est en partie dû à la Révolution française. Un peu plus de 4000 brevets ont été officialisés à cette période (pour toutes sortes d'instruments de musique). 

Les inventions évoluent au fur et à mesure du temps. On débute avec des conceptions comme le cromatica (1788) de Charles Clagget. Le "cromatica" est composé d’un levier à l’extrémité d’une embouchure permettant de changer d’instrument, ce qui avait pour objectif de jouer sur deux instruments d’un demi-ton de différence. Vient ensuite une trompette à coulisse de Haltenhoff (1796), puis, des clefs sur un instrument de Weidenger (1803), ensuite d’autres innovations de Halliday, Schmidt, Close, etc. Aucune de ces inventions ne fera l'exploit espéré par leurs créateurs. 

C'est en 1814, après un certain nombre d'inventions plus ou moins efficaces, qu'est présentée la conception révolutionnaire de Henrich Stölzel. Il invente un cor constitué de deux soupapes, l'une permet de descendre d'un ton et la seconde d'un demi-ton. En 1818, Bluhmel présente un trombone à 3 soupapes. Bluhmel aura un refus de brevet : en cause, les droits consacrés à Stölzel. Ces 2 individus deviennent rivaux et revendiquent chacun la conception de la soupape. Une rumeur raconte qu'ils auraient pu se partager leurs idées avant leur création. Cette opposition se termine par une association de leur travail. Stölzel finira plus tard par acheter les droits de Bluhmel. Aujourd’hui, vous pouvez entendre parler des pistons Stölzel ou Stölzel-Bluhmel.

a) corps de la soupape
b) soupape 
c) coulisse
d) tube principal

Sens de l'air

f) bouton
g) tige de soupape
h) bouchon de la valve
l) ressort

Vanne Stölzel.JPG

figure 5*

cornet à pistons 1.JPG

figure 6*

Le système de Stölzel étant novateur, diverses créateurs le reprendront. Sur cette image (fig.6), vous pouvez voir un cornet primitif à deux pistons. Sur son pavillon, une inscription gravée : "Griessling und Schott in Berlin". Ce cornet se trouvait au Musée du Conservatoire de musique de Paris au début du XXe siècle. Aujourd'hui, les instruments du conservatoire ont été déplacés au Musée de la musique de la Philharmonie de Paris.

En Belgique, à Bruxelles précisément, Charles-Joseph Sax expérimente sur le cornet à pistons. Sur l'illustration (fig.7), vous pouvez observer deux cornets conçus par Sax. Ceux-ci datent d'avant les années 30 puisqu'aucun n'est muni de numéro de fabrication. Sur les deux instruments, le système permettant d'accorder l'instrument se trouve au niveau de l'embouchure : la colonne d'air peut alors être allongée ou raccourcie, ce qui permet de modifier la hauteur du son. Ce système est toujours d'actualité sur certains instruments comme le bugle ou la trompette piccolo. Plus tard, Sax met en place une coulisse en forme de U qui se situe entre l'embouchure et les pistons. Ce système  a toujours pour objectif d'accorder l'instrument. Il est toujours exploité pour certains instruments comme la trompette. En plus de cette amélioration, les coulisses secondaires deviennent aussi mobiles.

Charles-Joseph Sax (1790-1865), père du célèbre Adolphe Sax,  tient un atelier à Bruxelles au début du XIXe siècle. Il sera nommé comme facteur d'instruments de la Cour et aura la fonction de munir les régiments belges d'instruments de musique. Il terminera sa vie en travaillant comme ouvrier pour son fils à Paris.

Deux cornets à deux pistons en si bémol, Charles-Joseph Sax, Bruxelles, 1828 (invention M1289 & M1290). Collection MIM*.

figure 7*

Dans toutes les inventions précédentes, nous parlons de cornet à pistons mais il faut savoir que le mot "cornet" en tant qu'instrument de musique n'apparaît officiellement qu'en 1833. En effet, aucun brevet spécifique ne parle de la création de ce mot. La première référence de celui-ci nous parvient d'un brevet de Joseph Isidore Pertus. Dans ce brevet, Pertus utilise des soupapes rectangulaires au lieu de soupapes circulaires de Stölzel. Cela permet à celles-ci de parcourir une plus petite distance. C'est à partir de ce moment que le cornet aura comme appellation "cornet d'harmonie" en France et de "cornopean" en Angleterre.

Bien que le mot "cornet" existe depuis ce moment, ce n'est pas le cas pour le mot "piston". À l'époque, ce qui définissait ce dernier était seulement "soupape et valve". Plus tard, en 1835, dans un brevet, Périnet parle de l'ajout d'un troisième "piston" et n'utilise plus le terme "soupape" ou "valve" comme auparavant. Ce troisième piston permet aux notes ré, mi bémol et mi d'avoir une meilleure émission. Le cornet d'harmonie prendra par la suite le nom de "cornet à pistons". À cette époque, l'invention de ce système n’était pas parfaite. En 1938, Périnet invente le piston tubulaire qui permet de diminuer la résistance émise par l'abaissement de celui-ci et, comme il est fermé en dessous par un chapeau troué, cela permet d'évacuer l’air comprimé par l’abaissement. Ensemble, les pistons de Stölzel et l'amélioration de ceux-ci par Périnet leur permettent de dominer le marché. Le cornet à deux pistons, quant à lui, tiendra jusqu'au XXe siècle, avant de disparaître petit à petit. Après l'invention de Périnet, le principal objectif des artisans est d'améliorer la justesse du cornet.

Voici d'autres systèmes qui s'associeront aux inventions de Stölzel et Périnet. Certaines améliorations sont encore d'actualité sur les instruments de la famille des cuivres.

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figure 9

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figure 10

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figure 11

En Grande-Bretagne, où le cornet est appelé "Cornopean", un système prédomine : le "clapper key" de Georges Macfarlane. C'est une clé raccordée à l'instrument, elle permet de jouer des trilles* avec plus de facilité qu'en le jouant avec un piston. Ce système n'est plus d'actualité. L'illustration (fig.9) est un "cornopean" confectionné avec le "clapper key". Il est inventé vers la moitié du XIXe par la société METZLER & CO à Londres. Ce cornet se trouve dans l'inventaire du Conservatoire Royal d'Écosse.

Le "cornet à echo" de Brown & Sons (fig.10) inventé à Londres à la fin du XIXe, a la particularité de posséder une quatrième valve.  Celle-ci permettait d'activer une "cloche muette" qui donnait l'impression que le cornettiste jouait de façon proche ou lointaine. Ce cornet était utilisé dans l'opéra comique. Le cornet à echo de l'illustration provient de la collection Bate à Oxford. 

On entend parler du "cornet de poche" dans les années 1840. Ce "cornet de poche" n'est pas un cornet plus aigu, il est seulement plus enroulé que le cornet traditionnel. S'il est plus petit, c'est pour faciliter son utilisation pour les musiciens qui voyagent, les orchestres de cavaleries, les femmes et les enfants. Il prend le nom de cornet de poche, cornet de salon ou cornet de bébé. Celui-ci est fabriqué par Besson & Co./Boosey & Hawkes au Royaume-Uni au milieu du XXe siècle (fig.11). Il se trouve dans la collection Bate à Oxford. La fabrication du cornet de poche n'a pas été interrompue. 
La tonalité du cornet à pistons
Aujourd'hui, un cornet à pistons ordinaire est en tonalité si bémol. À l'époque de son invention, le cornet avait la possibilité de changer de tonalité. Mais pourquoi ? La tonalité de l'instrument variait en fonction de la tonalité de l'œuvre jouée et de la sonorité que le compositeur souhaitait. Le cornet à 2 pistons ne permettait pas de jouer toutes les notes. Lors de l'exécution d'une œuvre, si un des mouvements changeait de tonalité, le cornettiste changeait la tonalité de son instrument. 
Comment un musicien changeait-il la tonalité du cornet ?
Des tiges/escrocs/tons à ajouter sur l'instrument, au niveau de l'embouchure, permettent de modifier la longueur de l'instrument et ainsi modifier sa tonalité.
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figure 12

Cornet à pistons si bémol, DAVID, Paris, collection MIMEd*, environ 1840.
Ce cornet à piston (fig.11) est en si bémol. Les tiges en dessous lui permettre de passer en la, en la bémol, en sol, en fa en mi et en mi bémol.

Besson et Courtois 

Dans les années 1840-1850, deux inventeurs vont sortir du lot : Gustave-Auguste Besson et Antoine Courtois. Ces deux personnes sont considérées comme leaders sur le marché du cornet lors de l’exposition universelle de Paris de 1855. Certaines de leurs inventions sont toujours d'actualité concernant le cornet à pistons d'aujourd'hui.
Besson invente la "perce pleine". Elle permet de réduire les irrégularités à l'intérieur du piston. Il va ensuite standardiser les pièces qui constituent le cornet à pistons. Ce cornet est appelé "prototype". Son travail se fait sur le cornet "modèle français". Ce dernier à la particularité d'avoir le pavillon du côté droit des pistons.

Courtois, à son tour, innove avec un cornet “modèle anglais”. Sa caractéristique à lui est que le pavillon se trouve du côté gauche des pistons. Dans les catalogues français, ces deux modèles y sont distingués. Le “modèle anglais” est installé généralement sur les cornets à pistons les plus chers. Courtois invente la clé d’eau permettant d’évacuer la condensation qui s'installe dans l’instrument lors de son utilisation. La branche de l’embouchure devient fixe.

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figure 13*

Gustave-Auguste Besson, né en 1820 et mort en 1874.
Facteur d'instruments, il fonde la firme Besson en 1837 à Paris. Après avoir été en justice contre Adolphe Sax, il décide de s'expatrier à Londres où il monte une usine.

Antoine Courtois né en 1770 et mort en 1855, facteur d'instruments, suit le travail de son père. En 1803, il déménage les ateliers familiaux au Rue du Caire 21 Paris. C'est son fils Denis A. Courtois qui lui succèdera en 1844.

magasin courtois.JPG

figure 14*

Sur l'illustration (fig.15), une série de cornets à pistons de la marque Couesnon & Cie du début du XXe siècle. 

Du cornet bon marché (28 francs) au plus élevé (200 francs), on trouve des modèles français et des modèles anglais. Le prototype "BO" à 70 francs est un modèle français où le pavillon se trouve à droite des pistons. Le même prototype à 76 francs est un "modèle anglais",  son pavillon se trouve à gauche. 
En dernière ligne, les cornets "monopole" sont constitués de 1 voir 2 barillets. Ces barillets permettent de changer la tonalité du cornet de façon plus juste que les tons. Le cornet à 2 barillets est un cornet en ut, pouvant changer en si, en si bémol et en la. Ce système n'est pratiquement plus utilisé aujourd'hui sur le cornet. Actuellement, des instruments comme la trompette de cavalerie peuvent être conçus avec un barillet. Ce dernier permet de passer de la tonalité si bémol à mi bémol.
Si à cette époque, jouer avec différents tons donnait au cornet une facilité de jeu et permettait de varier son timbre, l'idée d'améliorer la justesse de l'instrument prédomine. L’utilisation de tons différents sur l’instrument se raréfie puisque garder le cornet à pistons en si bémol permet une meilleure conicité de l’embouchure aux pistons et ainsi une meilleure justesse.
Article Couesnon.JPG

figure 15*

Dans les années 1920-1930, le cornet ressemble de plus en plus à la trompette, à tel point que la seule différence est le diamètre du tuyau proche de l'embouchure. Un des critères typiques au cornet, le shepherd's crook, est dans certains cas, inexistant. On parle alors de la "trompettisation" du cornet. (Les Etats-Unis et le jazz
La crosse de berger (shepherd's crook) est une caractéristique du cornet à pistons qui n'est pas présente sur la trompette. C'est une partie qui permet de différencier la trompette du cornet.
Cornet à pistons 
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Trompette
Les grands musiciens de cette époque abandonnent le cornet pour passer à la trompette. Louis Armstrong qui avait démarré avec un cornet, le laisse tomber pour la trompette. On peut lire dans différentes sources qu'après 1930, le cornet est mis au second plan.
C'est à la suite de la Seconde Guerre mondiale que le cornet à pistons reprend un rôle essentiel. Les facteurs d'instruments le vendent comme instrument complémentaire. En effet, la trompette pour sa sonorité brillante et le cornet à pistons pour sa sonorité chaude et riche.
Aujourd'hui, le cornet à pistons est toujours présent dans les orchestres. Dans le brass band, son rôle est essentiel ; dans l'harmonie et la fanfare, le cornet y est représenté aussi mais n'est pas indispensable ; dans le jazz, le cornet n'a plus la place qu'il a pu avoir au début du XXe siècle.
Ce chapitre est basé sur :
 

​​Besson. « Notre histoire ». Besson London. Consulté le 15 février 2023. https://www.besson.com/en/our-story/.
Courtois. « Notre histoire ». Antoine Courtois Paris. Consulté le 14 février 2023. https://www.a-courtois.com/fr/notre-histoire/.

Dumoulin, Géry, éd. Musée des instruments de musique. 10: Cornets à piston = Cornetten / Géry Dumoulin, 2001.
 


figure 2* Mahler Gustav. Symphonie n°3. 6  mouvements. Vienne, Josef Weinberger, 1899.
figure 3, 6 et 15* L’INSTRUMENTAL, « L’INSTRUMENTAL ILLUSTRÉ ».
figure 5* http://collections.nmmusd.org/UtleyPages/Utleyfaq/brassfaqStoelzel.html
figure 7* Dumoulin, Géry, éd. Musée des instruments de musique. 10: Cornets à piston = Cornetten / Géry Dumoulin, 2001.
figure 13* Annuaire du commerce 1925- Source Gallica.

figure 14* Vues des ateliers et magasins de la Maison Antoine Courtois
Rue du Marais, vers 1860, Caudet & Deslaurier.

MIM* : Musée des instruments de musique de Bruxelles.
MIMEd* : Musées des  instruments de musique d'Edinburgh.
Trilles* : Ornement vocal ou instrumental qui consiste à répéter rapidement et alternativement deux notes conjointes. (définition du dictionnaire Larousse).
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